Rencontre avec Rupture d’Héctor Zamora à la Biennale de Lyon
La 14ème biennale d‘art contemporain s’est ouverte le 20 septembre dernier lors d’une soirée de vernissage à la Sucrière. Second volet du cycle “moderne”, cette édition permet d’explorer la portée de la modernité dans la création artistique actuelle. L’un des temps forts de cette soirée s’est tenu à 20h00 dans le hall du siège de GL Events : la performance Ruptura, une œuvre vivante d’Héctor Zamora.
Mexicain de naissance, brésilien pendant une décennie et désormais domicilié à Lisbonne, Héctor Zamora explore depuis le début des années 2000 le monde qui nous entoure. Véritable architecte de l’éphémère, il nous invite à repenser sans cesse notre rapport aux lieux et aux objets du quotidien. “Ruptura”, présentée pour la première fois en 2016 à Sao Paulo, dénonce la rupture sociale et la frustration de l’artiste face à la crise politique qui secoue le Brésil en cette année d’Olympiades.
Ce soir-là, nous sommes 147 bénévoles, vêtus tout en noir, à investir les quatre étages du hall. Dans un silence total, nous dominons le public pendant cinq minutes avec, dans les mains, un livre noir intitulé Ruptura. Puis, dans un même mouvement, nous créons une pluie de pages qui vient remplir l’espace sonore et physique. Alors que les dernières pages arrachées s’envolent, nous nous faufilons à travers le public pour ramasser 50 feuillets que nous replaçons dans notre ouvrage avant de le déposer d’un geste sec sur la table centrale. Lorsque le dernier livre est posé, le silence s’abat à nouveau sur un public médusé qui ne rêve que d’une chose : emporter un livre.
Durant la performance en direct, j’ai vécu un moment d’une rare intensité. La première partie m’a offert un moment privilégié avec moi-même. J’ai pu réfléchir au sens que pouvait revêtir cette rupture et méditer le message rédigé par l’artiste :
[…] vous avez entre vos mains le pouvoir de réécrire, de réinventer, de redéfinir, de choisir, de décider comment se raconte l’histoire […]. Le système crée la Rupture sociale mais nous avons entre nos mains le pouvoir de reconfigurer ce système.
Extrait d’un message que les organisateurs ont lu avant la performance.
La seconde partie s’est révélée beaucoup plus physique. Déchirer ces pages, c’était comme arracher ma souffrance à la racine et jeter au loin toute trace des violences vécues car, comme le dit Héctor Zamora lui-même, “Le geste de déchirer un livre, de lui arracher les pages est un symbole très fort, pas seulement ici au Brésil, mais partout, il peut être interprété comme une forme de protestation, comme un “ça suffit”, un moment de colère ou de libération.” (Propos recueillis lors d’une interview donné à Efe en novembre 2016). Récupérer ensuite des pages au hasard m’a permis d’accueillir la souffrance d’autrui mais aussi la mienne puis de réécrire l’histoire, mon histoire, notre histoire. Le “ya basta”, est venu au moment de déposer le livre : ce geste sec, déterminé et sans retour m’a libérée. Sans même savoir que mon vécu pouvait rejoindre les émotions et le ressenti de l’artiste, à cet instant, j’ai décidé que ma vie (antérieure) était heureuse.
Je suis autant touchée par le message de l’artiste que par la résonance que cette œuvre a eue en moi. Accepter les pages les plus noires de mon vécu, en faire quelque chose de beau et trouver la confiance nécessaire pour amorcer une vie affranchie du poids de mon passé en vingt minutes est un vrai cadeau. Vivre l’art contemporain c’est aller à la rencontre de nos émotions et de notre richesse intérieure. J’aurai mis des années à le comprendre mais quelle découverte !
Céline Redon